Le porteur d’eau avait deux grandes jarres, suspendues aux deux extrémités d’une pièce de bois qui épousait la forme de ses épaules.
L’une des jarres conservait parfaitement toute son eau de source jusqu’à la maison du maître. L’autre jarre avait un éclat et perdait presque la moitié de sa précieuse cargaison en cours de route. Chaque jour, le porteur d’eau ne livrait qu’une jarre et demie d’eau à chacun de ses voyages.
La jarre parfaite était fière d’elle, puisqu’elle parvenait à remplir sans faille sa fonction du début à la fin.
La jarre abîmée avait honte de son imperfection et se sentait déprimée parce qu’elle ne parvenait à accomplir que la moitié de ce qu’elle aurait voulu faire. Elle vivait cela comme un échec permanent. Au bout de deux années, la jarre endommagée s’adressa au porteur d’eau, au moment où celui-ci la remplissait à la source.
- Je me sens coupable, j’ai honte et je te prie de m’excuser.
- Pourquoi ? demanda le porteur d’eau. De quoi as-tu honte ?
- Depuis deux ans, à cause de cet éclat qui fait fuir l’eau, je n’ai réussi qu’à porter la moitié de ma cargaison d’eau. Par ma faute, et malgré tous tes efforts, tu ne livres à notre maître que la moitié de l’eau. Tu n’obtiens pas la reconnaissance complète de tes efforts, lui dit la jarre abîmée.
Touché par cette confession, et plein de compassion, le porteur d’eau répondit : « Pendant que nous retournons à la maison du maître, je te demande de regarder les fleurs magnifiques qu’il y a au bord du chemin ».
En montant la colline, la vieille jarre pu voir sur les bords du chemin, de magnifiques fleurs baignées de soleil. Cela lui mit du baume au coeur. Mais à la fin du parcours, elle se sentait toujours aussi mal parce qu’elle avait encore perdu la moitié de son eau.
Le porteur d’eau dit à la jarre « Tu t’es rendu compte qu’il y avait de belles fleurs uniquement de ton côté, et presque aucune du côté de la jarre parfaite ? J’ai toujours su que tu perdais de l’eau, et j’en ai tiré parti. J’ai planté des semences de ton coté du chemin, et chaque jour tu les as arrosées. Grâce à toi, pendant deux ans, j’ai pu cueillir de magnifiques fleurs pour décorer la table du maître. Sans toi, jamais je n’aurais pu trouver des fleurs aussi fraîches et aussi belles. »
« Ce qui diffère déconstruit nos certitudes et par là, nous jette hors de nos égocentres, vers l’inexploré » – Alain Damasio « Les Furtifs »
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Cet article a 4 commentaires
Michel
4 Jan 2022Merci Angélina pour ce joli conte. Et comme pour conforter encore le message implicite, FLEURS est le quasi anagramme de FELURES..
Angélina Jeandel
4 Jan 2022Le « hasard » fait bien les choses…
Soazic Debbache
5 Jan 2022C’est un très joli conte que j’ai plaisir à retrouver ici. Bon choix pour commencer cette nouvelle année !
Angélina Jeandel
5 Jan 2022Merci Soazic!
Il est toujours bon de se rappeler que l’on peut tirer profit de nos « faiblesses ».